Je pense donc je grimpe.

jeudi 26 juillet 2012

INTERVIEW DE ALEXANDRE BUISSE; GRIMPEUR D'IMAGE ET DE CÎMES

Nous avons le plaisir aujourd’hui de consacrer une interview à Alexandre Buisse. Sous le charme de ses photographies, l’équipe Nospot.org a voulu en savoir plus sur cet artiste-grimpeur.(Pour voir les photos présentes dans l'article en plus haute résolution, il suffit de cliquer dessus).

summit-mushroom

Bonjour Alexandre Buisse, comment vas-tu ?


Bonjour. Ça va ma foi très bien, merci.

Peux tu te présenter brièvement ?


J'ai 25 ans et je viens de Lyon, même si j'ai pas mal bougé ces dernières années. Après la Suède et l'Angleterre, je vis actuellement au Danemark depuis deux ans. J'ai longtemps pensé que je ferais de la recherche scientifique toute ma vie - je suis en train de finir ma thèse en informatique théorique, mais depuis que j'ai découvert la photo de montagne, tout a changé. Je développe cette activité sérieusement depuis environ 2007, et j'espère pouvoir la pratiquer à temps plein dès 2011.

Peux-tu nous dire comment tu es tombé dans la soupe escalade/alpinisme & photographie ?


Dans les deux cas, ça a été assez soudain et inattendu, même s'il y a eu quelques signes avant-coureur. Depuis que je suis né, mes parents m'ont emmené à Chamonix plusieurs fois par an, et je pense qu'il ne faut pas chercher mon amour des montagnes plus loin. Mais si je randonnais un peu, c'est presque par hasard que je me suis mis à l'escalade, poussé par un ami Australien pendant un séjour Erasmus en Suède, en 2006. Je suis assez vite passé au terrain d'aventure, puis finalement à l'alpinisme en 2008.

Pour la photo, c'est aussi la faute de mes parents: ils m'ont offert un réflex numérique pour mes 20 ans, fin 2005. Mes toutes premières photos furent prises dans mes randonnées Chamoniardes, et si j'ai depuis expérimenté dans toutes sortes de domaines, j'en reviens toujours aux paysages alpins.

Comment la connexion s’est elle faite entre les deux arts ?


Assez naturellement. Je pense que je me suis mis à la photo parce que je voulais vraiment partager les paysages fabuleux que j'avais la chance de voir quand je randonnais dans la vallée de Chamonix. Et plus mes sorties sont devenues verticales et les lieux visités inaccessibles, plus cette motivation est devenue forte. Je me sens privilégié de pouvoir accéder à la haute montagne, et c'est ce que j'essaie de communiquer à travers mes images.

Avec quel appareil et quel matériel supplémentaire prends-tu des photos ?


À l'heure actuelle, j'utilise un Nikon D90 avec l'objectif Nikkor 16-35 f/4. Mais l'équipement le plus important pour la photo de grimpe, c'est le sac qui permet de garder l'appareil accessible à tout moment - dans mon cas, le thinktank skin qui me quitte rarement en course. J'utilise aussi un Panasonic GH1 pour la vidéo et le Nikkor 70-300 VR quand j'ai besoin de zoomer de plus près. C'est à peu près tout, le poids étant bien évidemment très important.

J'ai écrit un article complet (en anglais) qui détaille mon matériel et mes pratiques : http://www.alexandrebuisse.org/writings/articles/A-guide-to-digital-mountain-climbing-photography et je vais publier en mars prochain un livre entier sur le sujet.

Peux-tu nous dire à quel domaine tu t’attardes ? Alpinisme/escalade/vie sauvage, … ?


J'essaie de toucher à tout et de ne pas me limiter à un domaine particulier, mais les images d'alpinisme sont celles qui me touchent le plus (entre autres parce qu'elles sont souvent les plus difficiles à obtenir). Je fais aussi beaucoup de paysage, surtout quand ils sont parfaitement sauvages.

caravan

Qu’est ce que tu veux dégager ? Comment décris-tu tes photographies ?


Ça dépend de chaque photo individuellement, mais des thèmes qui reviennent souvent sont à quel point les hommes sont petits et insignifiants devant les montagnes. Personne ne peut conquérir ou vaincre une montagne, tout au mieux on peut y survivre pendant un certain temps.

Du côté humain, je suis fasciné par ces hommes et ces femmes qui vont si loin, à travers tant de souffrance et de sacrifices, pour atteindre leurs buts. Cela se lit souvent sur leurs visages, et j'essaie de le retranscrire à travers mes images.

Fais-tu souvent de la retouche ? Je parle plutôt de grosse retouche et montage ?


Non, jamais. J'ai fait quelques retouches relativement mineures dans le passé (effacer des fils électriques, voire dans un cas mon ombre: http://www.alexandrebuisse.org/galleries/rock-climbing/incredible/) mais j'ai depuis décidé de m'interdire complètement ces manipulations. Ce que vous voyez, c'est ce que j'ai vu.

Peux-tu nous expliquer techniquement comment tu fais pour prendre une photo en falaise à quelques mètres de hauteur ? Inévitablement, tu es dans l’obligation d’avoir de l’expérience tant en alpinisme qu’escalade ?


Pour mes photos d'alpinisme, je suis toujours un participant dans l'action, et je fais des photos "opportunistes", quand l'occasion se présente. En falaise, c'est beaucoup plus facile de me consacrer entièrement à la photographie. En pratique, j'utilise une corde fixe attachée au relais (soit en ayant escaladé la voie auparavant, soit en rappel depuis le haut de la falaise), et j'utilise ensuite une paire de jumars et d'étriers pour m'élever au même rythme que le grimpeur, tout en faisant bien évidemment très attention à ne pas le gêner.

Il n'y a là rien de bien compliqué, mais il faut en effet de bonnes connaissances des systèmes d'assurages, et parfois de construction de relais sur coinceurs. Évidemment, tout ça ne s'improvise pas, et j'ai appris ces techniques petit à petit de grimpeurs plus expérimentés.

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As-tu déjà rencontré d’autres photographes professionnels sur un même lieu ? Ou même des personnalités sportives marquantes ?


J'en ai eu l'occasion lors d'une rencontre internationale d'escalade organisée par le Club Alpin Américain à Indian Creek en 2009. Il y avait le photographe Andrew Burr et des légendes de l'escalade comme Sonnie Trotter, Jim Donini, Britanny Griffith, Steve House et bien d'autres. Ce qui m'a le plus inspiré, c'était de voir à quel point tous ces gens étaient humbles et hospitables alors même qu'ils faisaient les couvertures des magazines. C'est une des raisons pour laquelle j'aime tant l'escalade comparé à d'autres sports.

D’ailleurs considères-tu être professionnel de l’image pour activité outdoor ? Pourrais-tu en faire ton métier ou en vivre financièrement ?


Pour l'instant, non, je ne suis pas professionnel, mais j'espère le devenir l'année prochaine. Il est très difficile d'en vivre financièrement, et les choses ne vont pas en s'arrangeant, mais je pense que le jeu en vaut la chandelle, et je compte bien essayer pendant au moins quelques années.

Quelle est ta meilleure photo tout champ confondu ?


Impossible de choisir une préférée, ça change tout le temps ! Une de celles dont je suis le plus fier est celle de l'arête nord-ouest du Chopicalqui, une montagne Péruvienne (et mon actuel record d'altitude: 6345m): http://www.alexandrebuisse.org/galleries/landscapes/chopicalqui/

chopicalqui

Ma préférée en ce moment précis est celle que j'ai prise le weekend dernier à Chamonix, en descendant de l'Aiguille du Plan: http://www.alexandrebuisse.org/galleries/mountaineering/tormented/

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Quelle est d’ailleurs ta pire expérience en photo montagne et escalade ?


J'ai pour l'instant eu la chance de ne pas avoir vécu d'expérience particulièrement horrible - j'aimerais bien que ça reste le cas. Le pire qui me soit arrivé était probablement lors de ma première tentative sur un 6000m au Pérou, le Chachani, fin 2007. Comme il n'y avait ni neige, ni glace, j'ai stupidement utilisé mes chaussures de randonnée, perdant de plus en plus de sensations jusqu'à ce que je doive m'arrêter, à 1h du sommet, pour éviter les engelures. J'ai raté pas mal de photos ce jour là, mais j'ai gardé tous mes orteils et j'ai appris une bonne leçon.

Tu vis actuellement au Danemark, comment se passe la grimpe là-bas ? Où les gens vont-ils pour trouver quelques parois ?


La question qui fâche :) Il n'y a absolument rien d'escaladable au Danemark, même pas un petit bloc, ce qui rend les choses assez délicates (et déprimantes en hiver). Heureusement, il y a une salle autogérée très complète dans le centre de Copenhague, ce qui permet de ne pas perdre la forme. Sinon, on essaie d'aller souvent en Suède, il y a des falaises à moins de 2h30 de route, même si le rocher est de piètre qualité. Un peu plus au nord sur la côte ouest, par contre, c'est le magnifique granite du Bohuslän, injustement méconnu en dehors de la Scandinavie. Mais à plus de 5h de Copenhague et avec une météo souvent peu clémente, je n'y vais malheureusement que rarement. Pour tout le reste, je prends le train ou l'avion: le Royaume-Uni, les Alpes voir les Andes ou l'Alaska ne sont finalement jamais bien loin.

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Ces dernières années, il y a un très grand engouement pour l’escalade. De plus en plus pratiqué, de plus en plus médiatisé. Comment vis-tu cela en tant que photographe et grimpeur ?


Je ne me retrouve pas dans tout ce qui atteint le grand public - il s'agit uniquement d'histoires à dormir debout sur l'Everest ou de records ridicules, la montagne y est présentée comme quelque chose à conquérir (voire, comme dans le film "Vertical Limit", à faire exploser !) et il y est toujours question de compétition, ce qui sont à mon avis des valeurs complètement opposées à celles de notre communauté de grimpeurs.

Je trouve assez triste qu'on parle uniquement des 14 8000, par exemple (ou pire, des 7 sommets) quand des gens qui poussent vraiment le sport, comme Steve House, Dave MacLeod ou les Giri Giri boys sont quasiment inconnus.

Mais c'est vrai qu'il y a une évolution, le récent "Great Climb" de Dave MacLeod et Tim Emmett, diffusé en direct pendant 5h30 sur une chaîne de la BBC en est un bon exemple. Je ne peux qu'espérer que les choses continueront dans ce sens.

Dans cette mouvance, de nombreux films sortent et permettent de dépasser le côté statique de la photo. N’as-tu pas envie parfois de prendre la caméra ? Ou de te former à cet art ?


Je pense que c'est une évolution très intéressante, et peut-être ce qui va réussir à "sauver" la profession. Il sera à mon avis bientôt impossible de se consacrer uniquement à la photo, la vidéo devient trop importante. Je ne pourrais probablement pas aller au Népal cet automne, par exemple, si je n'avais pas accepté de produire un court-métrage en plus des photos. J'apprécie beaucoup la vidéo parce que c'est un autre medium qui me permet de m'exprimer différemment d'une image statique, mais ça reste quelque chose très visuel. J'ai fait un peu de vidéo, notamment via un cours sur les films d'aventure lié au festival de montagne de Kendal, en Angleterre, et je compte bien développer cette activité dans le futur.

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Comment te vois-tu dans 10 ans ? Toujours appareil en main ?


Absolument ! Un appareil dans une main, un piolet dans l'autre, et des crampons aux pieds. J'aimerais, à l'instar de gens comme Jimmy Chin et Renan Ozturk, pouvoir participer à des expéditions qui ouvrent de nouvelles voies en style alpin dans l'Himalaya, tout en les documentant en direct. C'est pour moi le double idéal de l'alpinisme et de la photographie.

Comment gères-tu cette envie en falaise/ salle entre photographie et envie de grimpe ? On peut dire que cet aspect est tout à fait différent pour l’alpinisme puisque tu dois vivre dans l’action, non ?


Tout à fait, c'est très différent. En alpinisme, le seul sacrifice à faire est d'emporter le matériel, souvent lourd et encombrant, mais je suis ensuite un grimpeur à part entière. En falaise, en revanche, il me faut accepter de passer beaucoup moins de temps à grimper moi-même, un choix parfois cornélien. L'idéal est d'être trois par cordée : pendant que mes deux companions grimpent, je peux faire des photos sans regrets.

Comment sélectionnes-tu tes projets photos ? Quel critère fais-tu que tu vas à un endroit pour shooter ?


Il n'y a pas de critère particulier, je vais généralement aux endroits qui m'intéressent le plus en terme d'escalade, et je vois quelles images je peux en ramener. Parfois, je n'arrive à rien faire de très intéressant, comme par exemple dans les gorges de la Jonte ce printemps, qui bien que magnifiques, sont difficiles à photographier de manière intéressante.

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Ta prochaine destination shootage ?


Le Népal dans un mois. Je vais accompagner une expédition qui pendant quatre semaines va escalader trois objectifs mineurs dans la région de l'Everest. Ce sera ma première visite dans l'Himalaya, et j'attends ça avec la plus grande impatience.

A quelle fréquence couvres-tu des événements ?


Pour l'instant assez peu, simplement parce que je ne suis pas (encore) professionel, et je préfère donc consacrer mon temps à ce qui m'intéresse le plus, le terrain d'aventure et l'alpinisme. Mais ça changera probablement dès l'an prochain.

Je constate que tu shootes quasiment qu’en milieu naturel ? Est-ce par choix ?


Je photographie aussi des thèmes qui n'ont rien à voir avec l'escalade, parfois en milieu urbain. J'ai aussi quelques images de grimpe en salle (par exemple http://www.aperturefirst.org/index.php?showimage=1076) mais pour moi, cela reste plutôt un "mal nécessaire", pour l'entrainement et le mauvais temps, plus que quelque chose qui m'intéresse en soi.

Tu es aussi commandité, non ? Comment cela se passe t-il concrètement ?


Pour l'instant cela arrive encore assez peu, l'expédition au Népal étant la première commande majeure. Je travaille plutôt de manière rétroactive, en proposant des images de sorties passées aux magazines et aux fabricants de matériel qui pourraient être intéressés.

Comment as-tu vécu ta première commande ? Stressé ? Tes photos étaient-elles à la hauteur de tes attentes ?


Je vous dis ça à mon retour du Népal, en Novembre :) Mais il y a pas mal de stress, oui, surtout que je dois aussi produire de la vidéo, un domaine dans lequel j'ai beaucoup moins d'expérience.

Penses-tu pouvoir suivre un grimpeur ou alpiniste en particulier pour faire son reportage ?


C'est une de mes ambitions, et une des raisons pour lesquelles je cherche constamment à devenir un meilleur grimpeur. Sur rocher, pas de problème - dans le pire des cas, il leur suffit de me donner une ligne fixe sur laquelle je peux grimper directement. En montagne, tout dépend des voies et de l'alpiniste en question... Bon courage à un photographe qui voudrait suivre Ueli Steck dans un de ses solos, par exemple !

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N’as-tu pas à certaines occasions envie de te concentrer sur un élément particulier que ce soit autour de l’alpinisme ou la grimpe ? Par exemple les filles grimpeuses ou … ?


La photo d'alpinisme est déjà un domaine assez spécialisé, et je n'ai pas pour l'instant ressenti le besoin de me restreindre encore plus. Si des projets particuliers se présentent, pourquoi pas ?

Qu’est-ce qui à ton sens fait défaut en photographie d’escalade ou alpinisime ? Quel aspect doit-on mieux couvrir ?


Je n'ai pas vraiment de plainte particulière, il y a tellement de magnifiques photos d'escalade qui sont créées chaque année, il suffit d'ouvrir un magazine comme "Alpinist" ou "Montagnes" pour s'en convaincre. Cela dit, je trouve que beaucoup de photos oublient parfois de communiquer le côté humain de ces athlètes - les expressions de leurs visages en disent souvent bien plus que n'importe quelle photo de la voie.

As-tu des craintes par rapport à tes photos en terme de vol, copie, utilisation frauduleuse ?


Pas vraiment, non. Si je poste mes images sur internet, elles vont être copiées, c'est le medium qui veut ça. Je ne l'encourage évidemment pas, mais tant que c'est pour une utilisation personnelle, ça ne me dérange pas outre-mesure. Qu'une entreprise les utilise de manière commerciale sans mon autorisation (c'est arrivé dans le passé) est par contre inacceptable, et je ferai de mon mieux pour obtenir une compensation, ou au moins faire cesser l'usage frauduleux.

Que fais-tu pour contrecarrer cette vague ?


Il est impossible d'empêcher de copier des images qui sont sur internet, et toutes les solutions existantes (désactiver le clic droit, watermark, etc) ne pénalisent que la vaste majorité des gens qui souhaitent admirer les photos sans les "voler". Les protections anti-copie des DVDs en sont le meilleur exemple. Je préfère donc laisser mes images parfaitement accessibles, quitte à poursuivre d'éventuels copieurs après coup. Je n'en perds pas le sommeil, je préfère me soucier de ma prochaine sortie !

L’équipe Nospot.org te remercie pour cette interview et te souhaite une belle continuation !


Merci à vous !

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