Au fil du temps, notre identité éditoriale est née, une identité proche de notre façon de grimper : l’escalade ne se limite pas à clipser, délayer, enchaîner et/ou zipper. L’escalade, c’est avant tout des paysages, des grimpeurs et des gens de passage.
L’équipe Nospot envisage l’escalade dans son ensemble, dans la totalité de ses disciplines, dans son interaction avec l’environnement et dans les voyages que le désir de grimper fait naître.
Lorsque l’on considère l’escalade dans son ensemble, il est intéressant d’en connaitre l’histoire.
Cette histoire a fait l’objet de nombreux romans. De la série Frison-Roche (http://www.frison-roche.com) à « La neige en deuil » (Henri Troyat), ces livres nous font revivre la vie des créateurs de la notion même de « guide de montagne », guides dont le premier métier était de s’occuper des vaches, d’aller au foin, de couper du bois.
Depuis que je pratique l’escalade, je me suis replongé dans ces classiques de la littérature d’altitude et j’ai eu de plus en plus envie de tester cette vie. J’ai donc profité de mon trekking escalade en Roumanie pour rejoindre pendant quelques jours une petite exploitation agricole et y vivre à mon tour, le quotidien d’un « grimpeur-agriculteur ».
23h00
La voiture s’arrête. A partir d’ici, il va falloir emprunter un sentier de montagne car aucune route carrossable ne mène à la fermette.Je fixe ma frontale et empoigne les 32 kg de mon sac à dos : coinceurs, corde, tente, sac de couchage, boites de chocolat et 5 litres de bières ; cadeaux pour mes hôtes de quelques jours.
Le chemin est raide, couvert d’éboulis et de bouille. La Roumanie connait des pluies incessantes depuis plusieurs mois et les Carpates sont une immense et fragile éponge. Ca et là, je rencontre de profonds trous et des glissements de terrain.
Le thermomètre de ma montre affiche 30 degré. J’arrive après 45 minutes de marche devant la barrière de la petite cour : altitude 1033, nuit étoilée, tous le monde dort.
4h30 du matin
Une douche, un petit déjeuné fait de cornichons, tomates, saucissons, fromage, pain et soupe, le tout accompagné de Tuica (prononcez TSUIKA), l’alcool de prune nationale qui est bien entendu le fruit d’une production maison.
("Machine" à Tsuika...)
Constantin me désigne une faux et me fait signe de le suivre. Nous marchons pendant 20 minutes pour remonter la montagne et arriver dans la prairie à faucher. Un hectare, une quinzaine d’hommes; tout sera fini avant midi.
On me montre comment me servir d’une faux, d’une fourche et d’un râteau. Sourires, phrases incompréhensibles et rire générale. Je gagnerais finalement leur respect à la pause, grâce à ma capacité à ingurgiter des quantités anormalement élevées de Tsuika ; j’ai toujours su que mes anciens jobs étudiants, en tant que barman, étaient ma meilleure arme sociale.
Midi
Je suis exténué. Le soleil m’assomme, j’ai la tête qui tourne et d’énormes ampoules aux mains.Je regarde mes compagnons d’un jour. La plupart ont plus de 50 ans. Ils sont les portraits des personnages de romans montagnards : des mains immenses et usées, des âmes rieuses, des yeux qui scrutent le ciel et y lisent la météo, des couteaux pour signer le pain et le partager, des hommes solides comme ces montagnes, des hommes qui une fois ce champ terminé s’en vont, en courant, remonter le col afin d’aller aider un ami à faucher son champ sur l’autre versant. Moi, j’arrive à peine à marcher droit.
De retour à la fermette
Je découvre l’exploitation. Elle est en tout point semblable à celles que j’ai tant de fois lues ; tout est manuel. Cette ferme est en fait une micro exploitation qui sert de complément économique.Pendant l’époque du communisme, à partir de 1981, une vache, 8 cochons, 40 poules et le terrain ont permis d’éviter la famine imposée par le régime de Ceausescu; l’âge d’or du communisme selon la propagande du pouvoir en place.
Constantin m’explique que les hommes présents au champ ce matin ont tous un travail en plus d’une micro exploitation. Constantin est employé pendant la journée dans une centrale d’épuration des eaux. Le soir, il s’occupe un peu des bêtes, du foin et bien sur de la fabrication de la Tsuika. La fermette est en fait surtout le travail de sa femme Maria. C’est elle qui s’occupe des animaux, du lait, du beurre, du fromage et des salaisons.
Nous parlons des conditions de vie à l’époque du communisme. Au vu de ce qu’il me raconte, la situation était préférable à l’époque ! Actuellement certaines pensions en Roumanie atteignent 20 LEI, soit 5 €. Le strict minimum pour survivre est de 200 €… Depuis la crise, le pays s’enfonce petit à petit. Le président Basescu, dans sa grande sagesse, a annoncé une augmentation de la TVA de 5% et une diminution des pensions de 15% est programmée… Je frémis derrière mon verre de Tsuika…
6h du matin
Réveille en sursaut. Constantin est à la station d’épuration et une copita (meule de foin en forme d’ogive) s’est écroulée.Nous partons, Maria et moi pour démonter la meule défectueuse et la reconstruire un peu plus loin.
Un voisin nous rejoint avec une bouteille d'eau et nous achevons le travail vers 14h00, la peau brulée par le soleil.
De retour à la ferme, on parle montagne et escalade. Dégaines, mousquetons, cordes et baudriers les font sourires. Ces montagnards ne connaissent pas ce que l’on appelait à la grande époque « la varappe ». Pour eux, l’escalade, ce sont les monts Fagaras que tous ont dû gravir pendant leur service militaire.
(Monts Fagaras)
Des « paysans guides » de roman, je n’en rencontrerai pas pendant mon séjour. Les guides que je vais rencontrer par la suite seront en général géographe, géologue ou pompier. Mes amis paysans sont des alpinistes par intermittence, ils se muent en grimpeur lorsqu’ils sont obligés de récupérer un mouton égaré dans les sommets.
Le reste de mon séjour s’articulera autour de la fabrication du fromage, de la cueillette des prunes et la coupe du bois. A chaque travaille, ce furent des bouts de roman vécus, ressentis, appris ; une vision élargie de la planète montagne et de ce qu’elle peut nous apporter.
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