Je pense donc je grimpe.

vendredi 27 juillet 2012

INTERVIEW D’ALAIN ROBERT, LE VRAI SPIDERMAN MADE IN FRANCE

_fullC’est officiel, j’ai les mains moites.

Pourquoi ? Le trac ? Ce n’est pourtant pas la première fois que je m’offre ce genre d’exercice.

Bon, sac à magnésie à la ceinture ; je me tartine correctement.
Ok, j’inspire, j’expire et je tiens bien fermement mon petit cahier et mon stylo : « Interview d’Alain Robert » (et non ce n’est pas le nom de ma dernière ouverture cotée 8A.)

Alain, bonjour, tout d’abord un immense merci d’accorder ton temps à Nospot. Si tu es d’accord, je te propose que l’on retrace ensemble ta vie de grimpeur et d’ainsi permettre à nos lecteurs de découvrir l’homme derrière l’araignée. Ok pour toi ?


Bin j’ai pas le choix ? Tu veux un café ?


Oui, noir avec un sucre s’il te plait. Si je me souviens bien, tu as commencé à grimper sur tout ce qui était grimpable lorsque enfant tu vivais à Valence. Tu t’es d’abord attaqué à des arbres avec du matériel de spéléo emprunté au père d’un de tes amis d’enfance. Puis, tu es passé aux falaises dans le Vercors et tu t’es mis au solo lorsque ton ami d’adolescence Pierre, qui était ton binôme de cordée, a dû stopper la grimpe à cause de sa formation de gendarme. Quel a été ta première voie en solo et quels souvenirs en gardes-tu ?


Oui mes débuts ça été dans le Vercors et puis l’Ardèche car c’était ce qu’il y avait de plus proche de chez moi. Mais ce que tu dis n’est pas tout à fait juste.

En fait, j’ai fait mes premiers solos à 13 ans.

A l’époque pour nous, la question ne se posait même pas. Pierre partait en tête et je suivais ou l’inverse. On était inspiré par Walter Bonatti et Reinhold Messner.



L’escalade était pour nous quelque chose d’exigeant, qui se devait d’être potentiellement dangereux et engagé. Le solo c’était juste une évidence, rien à voir avec la vision de la grimpe actuelle.
Donc bon tu vois, j’ai pas de souvenir de premier solo car la notion de solo en soi n’avait pour nous rien d’extraordinaire. Y’avait pas de prise de décision ; le solo s’est imposé et puis voilà.
Par contre je me souviens bien de mon premier building car il m’a valu une engueulade pas possible de mes parents.

Un jour, je suis rentré plus tôt des cours et j’avais pas mes clefs. Mes parents travaillaient tous les deux donc j’étais là, planté comme un con. J’avais déjà plusieurs fois observé l’immeuble et bon bin… l’occasion était là.

Quand je grimpais, je me souviens que le concierge criait comme un dingue. Evidement, dès que mes parents sont rentrés, il leur a tout raconté et là j’ai passé un sale quart d’heure.

Tu as pratiqué le solo sur falaise pendant combien de temps ?



Oulà, pendant longtemps ! J’ai atteint le niveau 8 en 1990-92 et j’ai rentré Polpot (7C/8A) en 96.

Polpot marque un peu si tu veux une des étapes charnières dans mon évolution de style de grimpe.

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Polpot n’était pas la plus dure en termes de difficulté mais en termes d'acceptation du style. C’est une voie vraiment particulière dont la difficulté ne se reflète pas en termes de cotation mais d'avantage dans les mouv. que t’impose la ligne et l'ambiance. C’est une voie morpho avec des petites prises. Tes pas sont en total adhérence. Il te faut poser, en douceur, pour coller à la paroi, jusqu'au point de rupture, avec 250m sous les miches.

C’est à partir de ce moment là que l’on peut dire qu’il n’y avait plus de différence entre mon niveau avec corde et mon niveau sans corde.

Dans la liste des voies mythiques, on peut aussi citer La Nuit du Lézard (8 A/B) non ?


Oui, Bioux m’a beaucoup apporté. La Nuit du Lézard, tu as d’abord un gros jeté aléatoire dans le premier tiers… Et je peux te dire que le terme aléatoire en solo est lourd de sens… Puis une traversée très dure dans le deuxième tiers et un pas très aléatoire en sortie avec deux pentes savonneuses où les meilleurs grimpeurs d'aujourd'hui connaissent des déboires, en étant encordés…. Cette voie… le dernier mouvement réserve bien des surprises… En fait, le dernier mouv de la voie est un plat foireux où tous les grimpeurs tombent plusieurs fois.

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Et t’a fait comment pour enchaîner ce monstre ?


Il faut savoir que cette voie n'a jamais été faite a vue en étant encordé. De mon coté, je l'ai gravie encordé, mais pas à vue, en 1986.

Ensuite, c’est en 1991 que j’ai eu l’idée de la faire en solo et j’ai donc enchaîné cette année là en solo intégral.

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Alexander Huber a sorti un livre sur les plus grands solo au monde et tu es le seul français a qui il a consacré un portrait avec en référence ton enchainement de la fameuse série « Abominafreux-Abomifreux-Abominable homme des doigts ». Il insiste surtout dans son livre sur la Nuit du Lézard que lui même et Léo Houlding considèrent même avec les 20 ans de recul, comme une des trois voies les plus difficile réalisée au monde, en solo. Tu ressens comment cette reconnaissance ?


Venant d’un grimpeur comme Alexander Huber, tu te doutes que ça me fait super plaisir.

Et tu peux nous en dire plus sur la série des abominables ?


Il y a d’abord l’Abominafreux, 8B à Cornas que j’ai enchaîné en 1991, considéré par Alexander Huber et aussi par Leo Houlding comme étant une des références clefs de l’escalade moderne.

C’est un enchaînement de trois voies sans repos : l’Abominafreux 8A suivi de l’Abomifreux 7C pour finir par l’Abominable homme des doigts, 7B+. Et faut t’imaginer que j’ai du désescalader à partir du 8A pour rejoindre le 7C mais sans prendre pied ! Bref, c’était au total un 8B bien tassé qui au vu de ce que tu me dis a marqué les annales.

A l'époque, j’avais vraiment peu de marge puisque mon escalade la plus difficile en étant encordé était « seulement » un 8B/C… Alexander a gravit un 8b+ en solo mais il considère son ascension moins aléatoire que ce que j’ai fait…

Les buildings, ça t’es venu comment ?



Ca a commencé en 1994.

A l’époque mes solos falaises étaient pas mal publiés dans les magasines spécialisés mais aussi dans les non spécialisés. Du coup, l’équipe de Sector No Limit m’a proposé de participer au tournage d’un film sur les sports extrêmes. Ce film allait servir à la promotion de leurs montres.

L’idée était d'établir un parallèle entre les voies en forme de tour qui existent dans l'Utah et les buildings. J'ai aimé et j'ai adhéré.

Donc je me suis retrouvé dans le désert, avec un sac à dos, une bouteille d’eau vide, je m’évanouissais et je rêvais que je grimpais une tour.

Ca nous a pris 4 mois de boulot et j’ai été 4 fois aux USA pour ce tournage.

Quelle a été la première tour alors ?


Ca été le building de la Citibank à Chicago.

Après ça, ça été Paris. Un soir, j’allais rendre visite à ma sœur qui vivait à Paris du coté de la Porte de la Chapelle. J’étais coincé sur le périf et là j’ai vu deux silhouettes dans la nuit. Ca avait de la gueule ; deux tours étroites, un petit 110 mètres. Et là je me suis dit : pourquoi par les Mercuriales ?
Mais mon premier building à Paris, ça été la tour Elf car j’avais demandé à Paris Match de couvrir l’évènement des Mercuriales mais eux trouvaient que Elf, c’était un projet plus porteur.

Qu’est-ce qui t’a poussé à ensuite enchaîner un tour des buildings de Paris ? Ca été un coup de cœur ou plutôt une nouvelle maitresse qui semblait prête à te consoler des déceptions causées par des falaises trop faciles ?

Heu… non. Ca été la facilité ! Les buildings c’était nouveau, existant, hyper engagé, très potentiellement dangereux et pas trop loin en voiture.
Voilà pourquoi j’ai pas mal enchaîné sur Paris. Ensuite, j’ai aussi poussé en Espagne et en Allemagne.

Oui, tu veux parler de ta trilogie européenne avec ton road-climb-trip à Francfort, Milan et Barcelone.



Exact ! Ca été un voyage super sympa. On avait très peu d’argent, on roulait, on s’arrêtait et je grimpais.

En fait, on aurait du prévoir plus de tune car la bagnole a été embarquée plein de fois à la fourrière. De ce coté là, on n’a vraiment pas eu de chance !

En plus, ces pays étaient très cool niveau réaction policière. Pas de cachot, pas de prison, la liberté de grimper en ville quoi !

Ensuite, San Francisco, Rio, la Malaisie, Philadelphie et depuis quelques années les Emirats Arabes et l’Asie. Qu’est ce que tu motives à prendre toujours autant de risque ?


Le plaisir tout simplement ! Le plaisir de grimper et aussi celui de voyager et de rencontrer des tas de gens que je ne pourrais pas rencontrer autrement.

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Après toutes ces années, est-ce que tu continues à te faire arrêter après chacune de tes ascensions ?


Oh que oui ! A chaque fois on m’arrête et je passe en garde à vue. Ca c’est quand tout va bien et que les gens sont cools. Sinon, c’est une semaine de prison. Note que la prison c’est pas mal. Je pourrais presque écrire un guide façon guide du routard des différentes prisons du monde avec une analyse détaillée des différents milieux carcérale. Blague à part, j’y ai rencontré des tas de gens très éloignés de moi, qui m’ont raconté des tas d’histoire. A chaque fois la prison, ce sont des rencontres, des vraies rencontres.

Ca s’est passé comment ta dernière arrestation ?


Oulà ! Mal, très mal même !

Ca s’est passé à Sydney. C’était ma quatrième arrestation en Australie.



Je te raconte. Je grimpe et après ça, il y a le représentant de je sais plus quoi, enfin en gros le chef de la province qui fait une intervention à la TV où il m’allume correctement et me présente comme un véritable danger publique.

Il a tellement bien réussi son coup que pour la première fois dans ma carrière de grimpeur de building, j’ai les proprios du bâtiment qui portent plainte pour dégradation.

De vrais dingues quoi. Bon, tu me connais, je ne grimpe pas comme un bulldozer, suis plutôt une ballerine. Imagines toi qu’ils estiment que mon passage a occasionné pour 10.000 € de dégât ! En fait, j’ai grimpé dans un renfoncement qui donne sur une issue de secours. Bref, je suis passé dans un endroit pas fréquenté du tout, un truc carrément sale en fait. L’endroit était crade de chez crade. Ce qu’ils appellent des dégâts, c’est de la crasse qui a été déplacée. En plus, j’ai les photos pour le prouver !

Mais là je suis dégouté. Je me suis fait coffrer comme un criminel, ils m’ont foutu à poil et m’ont traité comme une merde !

Ils sont pas capables de faire la différence entre un sportif et un trafiquant de drogue donc l’affaire est au main de mon avocat.

A ton avis, pourquoi est-ce que l’on t’arrête ?


C’est la loi tout simplement. On ne peut pas grimper sur des immeubles.
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Rien à voir avec le fait que des gamins pourraient essayer de grimper et que cela pourrait entraîner des accidents.


Mais non tout ça c’est des conneries !

Ca ce sont les anti Alain Robert qui disent ça depuis des années ! Mais t’as déjà vu un gamin qui a eu un accident parce qu’il a voulu m’imiter ?

Non ! Depuis 18 ans, je reste le seul à faire ça ! Et la raison est très simple : c’est trop difficile et de toute façon, les gosses passent leur temps devant leur console ou leur PC !

Il y a toujours une question qui me turlupine quand je repense à tes exploits ; c’est celle de ta famille. Est-ce que ta femme et tes enfants ont déjà assisté à tes séances de solo ? Comment est-ce qu’ils gèrent leurs peurs face à tes exploits ?


Ma femme et mes enfants, ça fait des années qu’ils ne se déplacent plus pour me voir grimper.
Il y a un accord tacite entre nous ; je sais renoncer si c’est nécessaire.
Ils sont nés avec un père qui grimpe, ça ne doit pas être facile à vivre, je le sais…

Peu de personnes le savent mais tu es reconnu handicapé. Ton handicap s’élève à combien de pourcent ?


Les barèmes ont varié avec les années mais j’ai été reconnu handicapé jusqu’à 66%.

Est-ce que ton handicap t’as obligé à développer un style de grimpe différent ?


C’est clair que mon style de grimpe est unique. En fait, tu peux en gros t’imaginer que je n’ai plus vraiment d’articulation au poignet.

Mon poignet droit est en mauvais état et le gauche est carrément bloqué. Ca veut dire en clair que je n’ai plus de rotation possible au niveau des mains.

J’ai également mon extension qui est vachement diminuée à cause de mon coude qui a été multi fracturé et mes nerfs ont été sectionnés ce qui fait que j’ai beaucoup moins de sensibilité.

Heureusement, nos poignets et bras sont reliés à un truc formidable ; nos épaules. Les épaules, c’est en fait l’articulation la plus perfectionnée de l’homme et donc grâce à ça je peux compenser tout le reste.

Niveau entrainement, tu fais quoi ? C’est quoi le secret de Spiderman ?



Y’en a pas en fait ! Je m’entraine tout seul, ce qui est logique vu que je grimpe seul.

Je me suis imposé une discipline d’entrainement simple : m’améliorer !

Donc j’ai chez moi de quoi travailler. J’insiste beaucoup sur la vitesse. La vidéo où tu me vois là dans la chambre, je te fais maintenant les mêmes mouves deux fois plus vite.






Tu suis un régime alimentaire particulier ?


J’essaye de faire un peu gaffe mais sans plus ; vive la bonne bouffe et le champagne ! Ma période Grany est bien loin derrière moi.

Il existe un débat sur le site Nospot. Certains, dont je fais partie, disent que la pratique régulière du vélo ou de la course à pied est très bénéfique pour la grimpe car cela te permet d’avoir une meilleur condition cardio et donc de grimper plus facilement sur de longue distance. D’autres, disent que cela ne fait que te donner des jambes comme des cuisses de grenouille qui alourdissent ton corps et donc compliquent la grimpe. Quel est ton point de vue sur le sujet ?


Ca fait super longtemps que j’ai arrêté de travailler le cardio. En fait, je ne pense pas que ça aide car lors de mes efforts sur les buildings, je ne m’essouffle pas. Les perfs d’escalade n’ont rien à voir avec l’alpinisme. En grimpe, tu peux te reposer, le cardio est pas si important que cela.

Dans la même veine. Patrick Edlinger a dit à plusieurs reprises qu’il s’était rendu compte que faire des centaines de traction ne servait à rien car au fond ce mouvement était peu répété en escalade. Tu en penses quoi ?






Il a raison dans ce sens là. On s’est entrainé avec de vieilles méthodes. En fait, si je recommençais tout à zéro, sur base des méthodes actuelles, il est probable que je grimperai 9B sans avoir dû me taper autant d’exercice répétitifs et souvent peu efficaces.

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Tes exploits de grimpe sont presque toujours liées à des causes humanitaires. D’où t’es venue cette idée d’allier grimpe et communication ?


Ca c’est super important ! Quand j’ai vu que j’étais un porte drapeau dans les médias, que ce que je faisais pouvait avoir un impacte mondial pour une bonne cause, j’ai foncé.

Quelle est la cause qui te tient à cœur pour le moment ?


Toutes! Y’a pas de bonne, super bonne et un peu moins bonne cause. Elles sont toutes essentielles et doivent toutes être défendues.

Qu’est-ce qui fait rêver Alain Robert maintenant ? Y’a encore des exploits qui t’empêchent de dormir ?


Rien je suis un grand dormeur.

Qu’est-ce que tu dirais à un grimpeur qui viendrait te trouver pour te dire qu’il veut faire la même chose que toi ?


De ce coté là, je ne conseillerais pas, c’est du solo… Tu peux être inspiré par mon travail mais je me garde de donner des conseils… C’est dangereux… C’est vraiment dangereux… Il faut une bonne connaissance de son corps, beaucoup de mental…

L’engagement est au-delà de ce que je pourrais t’expliquer… Franchement, faut pas faire ça…
Et puis… de toute façon… Si il te pose la question, c’est qu’il n’est pas prêt… Si tu es prêt tu le fais….

Et si ce grimpeur c’était un de tes enfants ?


Ca se passera pas, ça s’est pas passé… C’est pas une bonne idée…

Tu sais… La partie la plus dure à gérer psychologiquement, c’est pour ceux qui restent en bas…
C’est pour ma femme et mes enfants… Eux, ils sont dans l’attente… Je pourrais pas être dans cette situation d’attente…

Quels sont tes prochains projets ?


Un peu partout sur la planète ! Ni plus ni moins !

Si tu ne pouvais plus grimper qu’une seule fois, tu grimperais quoi ?


Hum… le Board Khalifa à Dubaï.
Ou alors j’attendrai que les chinois fassent mieux… Mieux que 1200 mètres de haut….


Un denier mot pour nos lecteurs ?


Dans la vie j'ai realisé qu'il n'y avait  pas uniquement des monos doigts et des bi doigts. C'est une version un peu appauvri de la vie.

Heureusement, en prenant de l'âge, j'ai commencé a ouvrir les yeux et me rendre compte que je vivais dans un monde étriqué et depuis je mets les bouchées doubles.

Merci Alain ! On rappelle que sur ton site web http://www.alainrobert.com on peut retrouver ton dernier DVD qui raconte tes exploits plus un tas d’autres infos.

 

On signale également que ton nouveau livre va bientôt sortit au Cherche Midi et que tes deux bouquins précédents « A mains nues » et « L’homme araignée » sont en vente dans la librairie Nospot.


A bientôt !

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